Gauthier Fiévet
Avocat au barreau de Bruxelles
gfievet@philippelaw.eu

La société momentanée est une forme de coopération passagère entre plusieurs personnes. On la rencontre fréquemment aux différentes étapes d’un projet de construction, dans le secteur artistique, ou encore parmi les soumissionnaires de marchés publics. Une société momentanée est régulièrement amenée à contracter avec des tiers. A cet égard, le Code des sociétés prévoit que les associés sont solidairement responsables de leurs dettes vis-à-vis des tiers avec qui ils ont traité. Comment procéder en cas de litige impliquant une société momentanée ?

I. Rappel des caractéristiques essentielles de la société momentanée

1. Définition.– La société momentanée est un contrat conclu entre plusieurs personnes – physiques ou morales – qui s’associent pour mener à bien une ou plusieurs opérations commerciales ciblées en commun[i]. Sa finalité est le partage des bénéfices réalisés à cette occasion entre associés, et son destin est sa dissolution, dès l’achèvement des opérations commerciales déterminées[ii]. Si la société se poursuit au-delà desdites opérations commerciales, celle-ci doit être requalifiée en société de droit commun[iii].

2. Caractéristiques.– La société momentanée présente la caractéristique d’être dépourvue de toute personnalité juridique, ce qui dispense ses fondateurs des formalités telles que le dépôt et la publication de l’acte constitutif[iv]. De l’absence de personnalité juridique découle également l’absence de siège social, de raison sociale, de capital social et de patrimoine propre. Il en résulte que les associés traitent, en règle, personnellement avec les tiers, sans pouvoir agir au nom d’une quelconque entité collective[v]. La société n’ayant pas d’existence juridique, elle ne saurait avoir de créanciers, ni de débiteurs qui lui seraient propres[vi].

II. La solidarité passive légale entre associés, ses enjeux et ses limites

3. Fondement. – La solidarité passive désigne la situation dans laquelle « plusieurs personnes sont débitrices de la totalité d’une seule et même dette »[vii]. L’article 53 du Code des sociétés instaure une solidarité passive entre associés en ces termes : « Les associés d’une société momentanée sont tenus solidairement envers les tiers avec qui ils ont traité. Ils seront assignés directement et individuellement ». La raison d’être de cette solidarité est la « communauté d’intérêt ou d’entreprise existant entre les intéressés concernant l’opération faisant l’objet de l’obligation solidaire »[viii].

a) Solidarité et engagements contractuels envers les tiers

4. Conditions d’application de l’article 53 C. soc. – Lorsque les associés ont agi ensemble, ce qui sera le cas lorsque toutes leurs signatures figurent sur la convention conclue avec un tiers, ceux-ci seront tenus solidairement à la dette (que le contrat fait naître à leur charge) envers ce tiers. A l’inverse, lorsqu’un seul des associés a signé la convention, il n’engagera, en réalité, que lui-même, sauf à produire la preuve d’un mandat lui ayant été dûment conféré par ses coassociés[ix].

C’est la raison qui pousse la Cour d’appel de Liège à souligner que « les tiers qui contractent avec une association momentanée doivent (…) agir avec une extrême prudence s’ils entendent bénéficier de la solidarité instaurée par l’article [53 du Code des sociétés] et exiger, soit le concours de tous les associés à l’acte, soit la production des documents établissant l’étendue du mandat conventionnel confié par l’association à l’associé avec lequel ils sont en rapport »[x].

Les associés ne seront, en principe, pas tenus des actes accomplis par le gérant au-delà des limites de son mandat. Les tiers préjudiciés et de bonne foi pourront toutefois invoquer l’existence d’un mandat apparent afin que ces actes engagent valablement tous les associés, à condition que l’apparence de mandat leur soit imputable. Cela peut être le cas lorsque le gérant utilise le papier à en-tête de la société, ou si un associé a eu un comportement tel qu’un tiers pouvait penser, en toute bonne foi, qu’il disposait du pouvoir d’engager ses partenaires[xi].

5. Sur le plan de l’obligation à la dette (relation associés – tiers)– Le cocontractant des associés dispose d’un droit d’élection, qui lui permettra de réclamer à l’associé de son choix le paiement de la totalité de sa créance[xii]. Cette solidarité constitue donc une garantie de premier choix pour les tiers, en ce qu’ils pourront se contenter de réclamer la totalité de ce qui leur est dû à l’associé qui leur paraît le plus solvable. Le paiement intégral d’un associé libère les autres vis-à-vis de leur cocontractant[xiii]. Le risque d’insolvabilité d’un associé est, en fin de compte, supporté par ses partenaires[xiv].

L’article 53 du Code des sociétés n’est pas impératif ni d’ordre public[xv]. Rien n’empêche les associés de modaliser, voire d’exclure cette solidarité au moyen d’une clause introduite dans le contrat particulierconclu entre les associés et, par exemple, un sous-traitant.

6. Sur le plan de la contribution à la dette (relations entre associés)–Les articles 1213 et 1214 du Code civil, applicables en matière conventionnelle[xvi], fondent le recours contributoire éventuel de l’associé ayant supporté la totalité du paiement contre ses partenaires, en vue d’obtenir le remboursement de la part respective de chacun d’entre eux.

7. Une solidarité contractuelle.– Une importante limite doit être rappelée : la solidarité prévue par l’article 53 du Code des sociétés ne s’attache qu’aux engagements contractuelsdes associés envers les tiers. Pour faire naître une obligation in solidumà charge de plusieurs associés en dehors de tout contrat, le tiers devra donc prouver que, par leurs fautes respectives, ces associés ont contribué à la réalisation d’un même dommage.

b) Solidarité et assignation en justice

8. La société momentanée n’a pas qualité pour agir.– Le principe est que « l’association momentanée ne peut agir en justice, ni activement, ni passivement »[xvii], celle-ci étant dépourvue de personnalité juridique. Par conséquent, une action en justice ne peut être intentée par – ou dirigée contre – cette société, mais devra, en règle, l’être par – ou contre – l’ensemble des associés, qui seront nominativement désignés dans les actes de procédure. L’action initiée par une société momentanée sera irrémédiablement déclarée irrecevable[xviii].

Pour ce qui est d’une action dans le cadre de laquelle les associés sont demandeurs, un associé serait cependant autorisé à agir au nom de tous, pour autant qu’un mandat spéciallui ait été confié à cette fin par ses partenaires, dans les statuts ou pour un litige donné[xix]. Une jurisprudence dominante – mais critiquée – considère qu’un mandat généralcomprend également un tel pouvoir pouvoir d’agir[xx].

9. L’impact de la solidarité.–La solidarité passive prévue par l’article 53 vient atténuer la rigueur de ce principe, en ce que les tiers pourraient diriger leur action contre l’un des associés seulement pour lui réclamer la totalité de la dette. Cet associé appellera ensuite ses partenaires en intervention forcée, si ceux-ci n’interviennent pas volontairement (la plupart du temps, les modalités de ces interventions sont réglées par le contrat à l’origine de la société momentanée).

c) Solidarité et dettes fiscales et sociales

10. Dispositions légales particulières. – À côté de l’article 53 du Code des sociétés, d’autres textes particuliers prévoient une solidarité entre associés d’une société momentanée. Nous songeons notamment à l’article 30bis, §6 de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs,et àl’article 405 du Code des impôts sur les revenus (1992). Ces articles instaurent une solidarité entre associés pour les retenues et amendes dont la société serait redevable, respectivement à l’O.N.S.S. ou à l’administration fiscale.



[i] Code des sociétés, article 47.
[ii] D.-B. Floor, « Société momentanée, quelle est ta raison d’être ? », Entr. et dr., 2000, p. 84, n° 4.
[iii] Ibid., p. 88, n° 17.
[iv] Ibid., p. 86, n° 13 ; V. Simonart, L’association momentanée, Bruxelles, Creadif, 1990, p. 33, n° 52.
[v] D.-B. Floor, « Société momentanée, quelle est ta raison d’être ? », op. cit., p. 84, n° 6.
[vi] V. Simonart,L’association momentanée, op. cit., p. 27, n° 38.
[vii] P. Van Ommeslaghe, De Page – Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, Bruxelles, Bruylant, vol. 3, p. 1826, n° 1234.
[viii] Ibid., p. 1827, n° 1235.
[ix] D.-B. Floor,La société momentanée, Bruxelles, Larcier, 2002, p. 155, n° 132.
[x] Liège, 17 décembre 1998, inédit (R.G. n° 1994/RG/818) ; voy. D.-B. Floor, La société momentanée, op. cit., p. 154, n° 131.
[xi] D.-B. Floor,La société momentanée, op. cit., p. 156, n° 133.
[xii] Code civil, article 1203.
[xiii] Code civil, article 1200.
[xiv] Code civil, article 1214.[xv]Mons, 9 avril 1998, J.T., 1998, pp. 603 et s.[xvi] Cass., 25 mars 1955, Pas., 1955, I, p. 823.
[xvii] V. Simonart,L’association momentanée, op. cit., p. 26, n° 36.
[xviii] Par jugement inédit du 24 avril 2015 (R.G. n° 13/5416/A) et avant de déclarer l’action irrecevable, le tribunal de première instance de Liège rappelle que « l’association momentanée n’a pas la qualité pour agir, la qualité présupposant la personnalité juridique. L’action devait être intentée par ses associés ».
[xix] D.-B. Floor, La société momentanée, op. cit., p. 62, n° 24.
[xx]Ibid., p. 63, n° 24.